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TÉLÉGRAMMES: Blog de nouvelles
14 janvier 2006

Les jeux sont faits

N°11 – 17h33 – 12/01/06

Je repenserai souvent à ces moments, par la suite. Je m’étonne encore qu’ils aient gardé une telle précision dans ma mémoire, comme une anomalie, la théorie prédisant qu’ils soient éclipsés par les évènements qui suivirent.

Ils se sont imprimés si nettement dans mes souvenirs, je pense, parce que les pensées multiples qui se disputent normalement mon attention, s’étaient momentanément dissipées, la fatigue et l’alcool des nuits de Vegas les ayant balayées.

Nous avions déjà dépassé l’heure du décollage quand le pilote annonça qu’il y avait un souci avec la porte de la soute, qu’ils étaient en train de réparer. Nous serions partis sous dix minutes. Les gens,  préparés pour un long vol, avaient tous déjà sorti livres et magazines, la nouvelle n’émut personne.

Je regardais Sophie, elle expliquait patiemment à deux passagers assis près d’une issue de secours au dessus de l’aile, les consignes qu’il faudrait suivre en cas de problème. Une voix douce et calme, un récit clair, quelques gestes contenus, mesurés, pour expliquer comment la porte devrait s’ouvrir, le toboggan se gonfler. Sourires échangés.

Sophie avait encore les cheveux attachés en un chignon impeccable, son uniforme bleu pas  encore froissé, déchiré. Je ne pouvais pas me douter sur le moment de la force de caractère de cette femme, de sa ténacité, de cet acharnement presque violent pour protéger la vie sans lequel je ne serais même plus là pour raconter cette histoire.

Déjà dans sa façon d’appliquer une simple consigne, le soin de parler à chaque passager, sa recherche du consensus, de l’approbation, cette prévenance et cette considération pour l’autre qui scelle aussi le contrat : « en cas de besoin, vous m’aiderez ».

Sébastien, lui, était derrière la paroi qui séparait le bloc de la classe économique avec la petite kitchenette du milieu de l’avion. Je ne voyais de lui que son visage qui me semble-t-il était déjà apeuré. Savait-il déjà ?

Il attendait pour les toilettes, il regardait Sophie aussi. Il avait encore deux heures à vivre avec ses parents. Je crois qu’ils ne se sont même pas parlés pendant ce temps. Il leur en voulait pour cette histoire de film manqué. Combien il se morfondra par la suite de ne pas avoir su en profiter. Et moi, je ne les ai pas rencontrés. Qu’auraient-ils pu me dire pendant ces deux heures, s’ils avaient su que j’adopterais leur enfant unique. Quelles grandes valeurs auraient-ils souhaité que je transmette à Sébastien ?

La scène se déroulait devant mes yeux : Sophie à ma droite avec les deux passagers attentifs aux explications, Seb à ma gauche.

Je n’entends pas vraiment les mots à cause de la musique dans mes écouteurs.

Je n’entends pas vraiment la musique à cause de la fatigue et des vapeurs d’alcool dans ma tête, qui voilent un peu mes sens, rendent la scène irréelle.

Des inconnus encore, qui deviendront les deux personnes les plus importantes de ma vie.

Et puis les toilettes se sont libérées, Sébastien a disparu de ma vue. Sophie est partie plus loin. J’ai dû fermer les yeux.

Nous nous sommes mis en place pour l’événement qui allait ouvrir le second acte de nos vies.

17h55

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S
J'aime vraiment ça.
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